À la frontière entre le Rwanda et le Burundi, la ZLECAF au point mort

15 mois après la réouverture des frontières terrestres entre le Burundi et le Rwanda, elles se sont à nouveau refermées sur les échanges transfrontaliers depuis ce 11 janvier 2024. Une mesure qui handicape le projet d’implémentation du commerce intra africain dans le cadre de la ZLECAF qui pourtant devrait fluidifier les échanges.

L’un des objectifs de la zone de libre-échange continentale africaine, comme le montre le protocole sur le commerce des biens dans son annexe 3 sur la coopération douanière et l’assistance administrative, est « l’élimination des barrières non-tarifaires ». Par-là,  le problème de la fermeture des frontières, comme le cas entre le Burundi et le Rwanda, montre les obstacles plus profonds à la réalisation de ce « marché commun » africain.

Le libre-échange en chiffres                       

Avant la fermeture de ces frontières, les deux pays bénéficiaient des bienfaits du libre-échange. Selon le bulletin trimestriel des Statistiques de l’Office Burundais des Recettes, les exportations du Burundi vers le Rwanda au premier trimestre 2023 s’élevaient à 88,2 millions FBU soit 0,4 % des exportations de l’EAC évaluées à 21517,5 millions FBU. C’est au moment où au premier trimestre de 2022, elles s’élevaient à 12,8 millions BIF soit 0,00 % des exportations de l’EAC, montrant une augmentation des échanges de l’ordre de 591,5 %.

Exportation du Burundi vers le Rwanda au premier trimestre 2023 (en millions de FBU)

T1_2023 T1_2022 Variation en en % comparé à 2022
Valeur Part en % dans EAC Valeur Part en % dans EAC
88,2 0,4 12,8 0,0 591,5

 Importation du Burundi depuis le Rwanda au premier trimestre 2023 (en millions de FBU)

T1_2023 T1_2023 Variation en en % comparé à 2022
Valeur Part en % dans EAC Valeur Part en % dans EAC
4593,4 3,2 1 449,0 1,4 217,0

Source : bulletin trimestriel des Statistiques de l’Office Burundais des Recettes

Quant aux importations en provenance du Rwanda au cours du premier trimestre 2023, elles s’étaient établies à 4593,4 millions FBU soit 3,2 % des importations de l’EAC ; au moment où en 2022 elles s’établissaient à 1449,0 millions FBU soit 1,4 % des importations de l’EAC ; constatant une variation de 217,0 % du total des importations qui provenaient du Rwanda dans cette période.

« Même si le volume des échanges entre le Burundi et le Rwanda reste le plus faible par rapport aux échanges avec d’autres Etats membres de l’EAC, la fermeture des frontières terrestres entre les deux Etats risquent de constater un manque à gagner ; muselant de plus en plus leurs populations qui espéraient des jours meilleurs via la ZLECAF», explique Janvier Cishahayo, analyste du CDE Great Lakes, avant de renchérir que « la fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda de 2018 à 2020, avait fait perdre au Burundi un montant équivalant à 5,1 millions USD, et que le volume des exportations du Rwanda au Burundi a baissé de 40% sur l’année budgétaire 2014-2015 ».

Une décision sans conséquence?


©DR  Photo prise le 11 janvier 2024 quand on a renfermé les frontières entre le Burundi et le Rwanda

Avec cette nouvelle fermeture des frontières, les pertes pour l’économie entre les deux pays vont continuer à augmenter. L’impact économique et social dû à la fermeture des frontières entre le Burundi et le Rwanda se fait déjà sentir. « Les agences de transports qui proposaient des services de transport sont obligées de mettre les verrous à leurs portes. Le petit commerce transfrontalier entre les deux pays va disparaître, et ceux qui voudraient investir dans tel ou tel autre pays vont annuler leurs projets », explique Dr Franck Arnaud Ndorukwigira du CDE Great Lakes.

Les conséquences de cette fermeture ne se limitent pas aux Rwandais et aux Burundais seulement, même les Congolais qui travaillent et/ou vivent au Burundi constatent ces dommages. Pour eux, c’est un sentiment de désolation qui se manifeste, car le trajet le plus abordable et sécurisé était celui passant par la frontière Ruhwa.

« Au moment où on dépensait 80.000 FBU comme ticket aller et retour pour faire le trajet Bukavu– Rwanda-Ruhwa-Bujumbura dans un délai de trois heures, maintenant, le prix a presque doublé en passant à 140.000 FBU de ticket aller et retour. Le trajet s’est rallongé et nous sommes obligés de passer par ‘Bukavu-Kamanyola-Kavimvila-Gatumba-Bujumbura’ ce qui nous prend plus de sept heures de trajet », explique Butambo Christian, commerçant congolais qui travaille au Burundi.

La même désolation se constate aussi au niveau des chauffeurs des poids lourds de l’Afrique de l’Est, obligés à passer par la Tanzanie pour rejoindre le Burundi. « Ce détour par la Tanzanie rallonge le trajet de nombreuses heures et augmente les frais de carburant et d’autres frais connexes de survie » confie Shabani Mwanangola, chauffeur ougandais qui fait les navettes entre le Burundi et l’Ouganda via le Rwanda.

ZLECAF, outil de règlement des différends

Face à toutes ces conséquences sur l’économie et la prospérité régionale, ne faudrait-il pas consulter les instruments de facilitation des échanges régionaux ratifiés avant de toucher le fond et penser à colmater les dégâts après ? En effet, la ZLECAF prévoit le protocole sur le règlement des différends entre les Etats signataires lorsque les conflits éclatent, de même que l’EAC via le protocole sur le marché commun de la communauté des Etats d’Afrique de l’Est. Et si le Burundi et le Rwanda consultaient ces protocoles pour renormaliser le libre-échange, source de prospérité ?